Portrait d’Alexandre Dumas, par Alain Decaux, de l’Académie française
Auteur prolifique, Alexandre Dumas a travaillé avec d’autres plumes pour suivre la cadence infernale du roman-feuilleton. Ce processus d’écriture en collaboration a suscité bien des critiques. Il mérite quelques précisions. Entretien avec Anne-Marie Callet-Bianco, maître de conférences en littérature du XIXe siècle à l’université d’Angers.
Dès lors, Alexandre Dumas s’intègre si bien à son époque qu’il finit par l’incarner à nos yeux. Il faut lire dans ses merveilleux Mémoires le chapitre qu’il consacre à la révolution de 1830. On dirait qu’il a tout orchestré pour chasser seul Charles X du trône et seul introniser Louis-Philippe. Lui-même fut toujours persuadé que, s’il passait à la postérité, ce serait par son théâtre. Considérant que ses romans n’étaient qu’un moyen de gagner beaucoup d’argent – qu’il dépensait d’ailleurs aussitôt – , il croyait qu’on les oublierait aussi vite. L’avenir lui a donné tort. On ne joue plus guère ses pièces tandis que les Trois Mousquetaires sont entrés dans le panthéon des œuvres universelles. Le romancier Alexandre Dumas est né d’un événement – la rencontre avec son collaborateur Auguste Maquet – et d’un phénomène : la naissance en France de la grande presse qui achète, souvent à prix d’or, la première publication en feuilleton des œuvres des écrivains célèbres. Maquet a apporté à Dumas l’esquisse d’un roman, Dumas en a tiré un livre nouveau, le Chevalier d’Harmenthal. Sa réussite est éclatante. Suivront cent romans : la suite des Mousquetaires, le Comte de Monte-Cristo, la Reine Margot, la Dame de Monsoreau, les Quarante-Cinq, Joseph Balsamo et tant d’autres parmi lesquels des millions de lecteurs n’auront que l’embarras de choisir. Il mêle avec une aisance fabuleuse des personnages sortis de son imagination à d’autres parfaitement historiques : ” Qu’est-ce que l’histoire ? Un clou auquel j’attache mes romans ! ” Plaisir à l’état pur, ces romans n’ont pas pris une ride après un siècle et demi. ” Il couvre d’immenses toiles, a dit Sainte-Beuve, sans fatiguer jamais ni son pinceau, ni son lecteur. ” A Dumas, on peut appliquer ce que lui-même a écrit de Charles Nodier : ” Quand il ne savait pas, il inventait, et ce qu’il inventait, il faut l’avouer, était bien autrement probable, bien autrement coloré, bien autrement poétique, bien autrement ingénieux et, j’oserais dire, bien autrement vrai que la réalité. ”
Si l’œuvre de Dumas a donné tant de joie, c’est qu’elle a été enfantée dans la joie. En bras de chemise et en pantalon blanc, été comme hiver, de jour et de nuit, suant, soufflant, le bon géant est au travail. Il vit avec ses personnages. Un jour, son fils le trouve en larmes : ” Porthos est mort, explique-t-il. J’ai été obligé de le sacrifier. ” Dumas était fait pour les trompettes de la victoire ; les défaites de la guerre franco-prussienne lui portent un coup très rude. Son fils le voit arriver chez lui, littéralement à bout de force :” Je viens mourir chez toi. ” Le 5 décembre 1870, il rend à Dieu sa grande âme chaleureuse. Dès qu’il connaîtra cette mort, Victor Hugo écrira : ” Aucune popularité en ce siècle n’a dépassé celle d’Alexandre Dumas. Ses succès ont l’éclat de la fanfare. Ce qu’il sème, c’est l’idée française. Alexandre Dumas séduit, fascine, intéresse, amuse, enseigne. De tous ses ouvrages si multiples, si variés, si vivants, si charmants, si puissants sort l’espèce de lumière propre à la France”.
Alain Decaux de l’Académie française, président de la Société des Amis d’Alexandre Dumas (2002)
Écouter Alain Decaux raconter Dumas
Laissez-vous séduire par ce conteur incomparable qu’est Alain Decaux, de l’Académie française, qui, comme toujours, nous enchante avec des anecdotes, sur sa découverte de l’auteur des Trois Mousquetaires, et sur la manière dont il a sauvé son château pour finalement faire reposer le grand Alexandre Dumas sous la coupole du Panthéon…